Un isthme stratégique, un canal ultra-connu
Le Panama est facilement être réduit à son isthme, et donc son canal. Ce canal est un projet de longue date. En effet, au XIXe siècle, les migrants et le fret entre l’est et l’ouest des États-Unis, mais aussi entre la côte Pacifique des Amériques et l’Europe, doivent passer le cap Horn. En pleine conquête de l’Ouest des USA, ce voyage est long et risqué. Autre solution : s’arrêter là où l’Amérique est la plus étroite et traverser la jungle et les montagnes comme on peut. C’est géographiquement possible à plusieurs endroits de l’isthme du Panama, donc y créer un raccourci est une priorité stratégique.
Les travaux du canal démarrent en 1882 et sont menés par le Français Ferdinand de Lesseps, qui avait déjà percé l’isthme de Suez. Pourquoi les Français ? Parce que les Colombiens, qui gouvernent le Panama, sont en froid avec les Ricains, eux aussi candidats pour la construction. Mais c’est un gouffre financier, et pour trouver de l’argent, certains sont prêts à tout. Spéculations, corruption : le scandale de Panama éclate en 1892 en France.
Vu l’importance stratégique du lieu, il n’est donc guère étonnant que les USA donnent un coup de pouce aux indépendantistes Panaméens, qui prennent leur envol le 3 novembre 1903 ; Panama devient un protectorat des USA. Et du fait de la mauvaise gestion du chantier par les Français, la concession est révoquée dès 1904 par le gouvernement du Panama, qui la remet aux... États-Unis (tiens donc).
Bref, vous l’aurez compris, ce canal, et ce qui est autour, c’est un truc États-Unien.
Mais le canal, on s’en fiche un peu, non ?
Oh oui, car le train a largement pris les devants ! La première ligne de chemin de fer a été construite en 1855, 50 ans avant ce fichu canal, qui lui pique pourtant toute la gloire.
Une concession est signée en 1850 entre une société new-yorkaise et le gouvernement de Colombie. Un million de dollars de l’époque sont levés comme capital. La ligne est construite à l’écartement de 5 pieds (1,524 mm), écartement utilisé au sud des USA à l’époque. Le matériel est amené des USA et débarqué dans un lieu, Aspinwall, qui deviendra la ville de Colón, sur la côte caribéenne. De cette ville et son port, fondés pour le chemin de fer, la ligne part plein sud vers Panama City. Les travaux démarrent en mai 1850 et rapidement on s’aperçoit que la construction des quelques 75 kilomètres de ligne ne sera pas une partie de plaisir.
Elle a en effet lieu dans les pires conditions : traversée de marais infestés de tout ce que l’on peut imaginer, comblements de toute sorte, creusement de tranchées gigantesques dans les montagnes séparant le Panama en deux... Par exemple, un pont pour franchir la rivière Chagres est construit péniblement pour être emporté par une crue le jour de son achèvement. La ligne comporte un tunnel, à Miraflores. Début 1854, le passage de la division continentale, entre Gamboa et Panama City, commence. La tranchée finale fera 760 mètres, une paille comparée à ce que le canal prendra à la montagne.
Ajoutez à cela les maladies et les conditions exécrables de vie dans la jungle (quand il pleut, il pleut beaucoup), et le fait tout le matériel est convoyé par mules ou à dos d’hommes. Les sources diffèrent, mais entre 5000 et 10000 ouvriers, des migrants et des esclaves, ont perdu la vie sur ce chantier dantesque. Et il faudra 8 millions de dollars de l’époque pour payer la ligne, huit fois le budget prévu, une fortune colossale pour l’époque ; une donnée que les Français oublieront de prendre en compte pour le canal.
Une seconde équipe de travail arrive à Panama City via le cap Horn début 1855, avec locomotives, wagons et matériel pour construire la voie. Elle se lance vers la tranchée de la division continentale qu’elle rejoint en quelques semaines. Le chantier est achevé : le 27 janvier 1855 est planté le golden spike. Sous la pluie ; tout un symbole.
Et l’inauguration n’est pas la fin des ennuis, car les ponts en bois pourrissent ou les glissement du terrain mal stabilisé sont nombreux. Mais ces travaux sont rapidement financés par les tickets très chers (25 dollars) que payent les migrants en quête de Californie, ou par les volumes colossaux de fret transportés. D’ailleurs, les frais de construction sont à 30% remboursés par les premiers trains, bien avant la fin du chantier : les gens voyageaient sur ce qui était construit de la ligne finissaient le voyage en bateau sur les rivières, puis à pieds !
La ligne est passée à double-voie rapidement, le Panama Railway devient la compagnie de chemin de fer la plus rentable au monde. Des lignes maritimes en correspondance sont mises en place, la compagnie est au cœur des migration de l’Europe vers la Californie ou le territoire de l’Oregon.
En 1881, la compagnie de chemin de fer est achetée par la Compagnie Universelle du Canal Interocéanique, qui démarre la construction du canal. Celle-ci a choisi de faire cet achat, car le train sera la colonne vertébrale de la construction du canal. Les 35 locomotives, 30 voitures et 900 wagons, comme la ligne, sont en mauvais état et entièrement remplacés.
Une seconde ligne
Comme nous l’avons déjà vu, la construction par les Français est un échec. Les États-Unis reprennent le chantier et la ligne de chemin de fer en 1904. Signe du changement, le matériel roulant est alors siglé « U.S. » sur ses flancs.
Du fait du changement d’ingénieurs, les plans changent également. La vallée du Chagres va devenir un lac artificiel destiné à alimenter les écluses du canal. Or, dans cette vallée, passe le train.
La ligne est entièrement reconstruite entre 1904 et 1912, à mesure que le chantier du canal progresse. Si elle conserve son écartement de 5 pieds, elle passe à double-voie, avec un armement lourd pour encaisser les nombreux trains de travaux. Le parc des locomotives passe à 115 unités, et une centaine de pelleteuses à vapeur sur rail, du matériel moderne pour l’époque, sont employées pour le chantier ferroviaire et celui du canal. La reconstruction aura coûté un million de dollars de plus que la première ligne.
Le canal est ouvert le 15 août 1914, sous administration américaine. Mais ce ne sera pas la fin du chemin de fer pour autant ! Les écluses sont équipées de « mules », de petites locomotives qui tirent les bateaux dans les écluses. La ligne sert au trafic de fret, puis containers, entre les deux ports, au trafic local et à la maintenance du canal.
Cependant, la géopolitique vient titiller la vie de la ligne, qui sert principalement au trafic local et à la maintenance. En 1956, les Français (encore eux), avec le Royaume-Uni, tentent de prendre le contrôle du canal de Suez. Les États-Unis font les gros yeux et mettent fin à la crise de Suez. Les Panaméens se demandent alors pourquoi l’Égypte pourrait avoir le contrôle de leur canal, mais pas eux... Des négociations ont lieu, et il est convenu que la ligne de chemin de fer est rétrocédée au Panama dès 1979, le canal suivant en 1999 (après quelques milliards de dollars engrangés).
La ligne est alors en mauvais état, du fait de l’absence de modifications et de maintenance. Au tournant du siècle, la vitesse est drastiquement limitée à 10 miles par heure : ça roule au pas ! Perdant des millions, la ligne est un gouffre ; en 1998 l’État Panaméen décide alors de proposer une concession pour 50 ans à qui veut bien l’acheter...
La troisième ligne
Le 19 juin 1998 est fondée la Panama Canal Railway Company, co-propriété de Mi-Jack Products, un fabricant de grues portuaires, et du Kansas City Southern. Leur objectif est simple : concurrencer le canal en transférant les containers entre les deux océans huit fois plus vite que par bateau. Certes, cela oblige à décharger un bateau puis en recharger un autre, mais à une époque où chaque minute compte...
La ligne est entièrement refaite entre janvier 2000 et juillet 2001, pour 76 millions de dollars. Elle passe à l’écartement standard, à voie unique, avec des évitements. Le tunnel de Miraflores est rippé pour gagner en gabarit ferroviaire. En sus, deux terminaux transbordement des containers sont construits, un à Panama City et un à Colón. Dix trains de containers roulent chaque jour dans chaque sens, avec une capacité totale de 1500 containers transportés.
Cerise sur le gâteau, le projet prévoit des trains de voyageurs, qui roulent dès juillet 2001. Le train relie deux gares : la gare de Corozal, située derrière l’aéroport de Panama City (la gare située au centre de la ville n’est plus desservie), et la Atlantic Passenger Station, à Colón, point de départ de croisières. Il y a un train par jour, le parcours prenant une heure. Une occasion de parcourir une ligne unique, allant de jungles en lacs ?