Trains des Amériques

Événement

Crash at Crush, ou l’art de la collision frontale

Sauf mention contraire, Texte et photos : BEn
Trains des Amériques n°5, Octobre 2020

Il est des idées qui parfois traversent certains esprit entreprenants. Et parfois on se demande pourquoi.

Ainsi, qui aurait idée d’organiser la collision frontale de deux locomotives en guise de spectacle promotionnel ? William Crush l’a fait.

Préparatifs

En 1896, Crush travaille pour le Katy, petit nom du Missouri-Kansas-Texas Railroad, basé au Texas. À l’époque, la compagnie a quelques soucis à se faire malgré un chiffre d’affaire en hausse. En effet, la concurrence est rude et le marché serré. Il faut convaincre plus d’entreprises de transporter leurs biens.

William Crush propose donc un événement promotionnel, qui fera connaître la compagnie : organiser la collision frontale de deux locomotives à vapeur. Les spécialistes sont formels : cette opération est parfaitement sûre. La compagnie donne son accord !

Avec quelques ingénieurs, Crush va trouver le bon site, pas loin de Waco, un lopin de terre où construire une voie ferrée séparée de 4 miles de long. Le lieu n’est pas nommé, mais est baptisé du nom de l’ingénieur, et l’événement trouve ainsi son nom : Crash at Crush.

Les deux machines prennent la pose, prêtes à refouler

L’événement est annoncé partout dans l’état par les deux locomotives parties en tournée promotionnelles. Des billets de train à tarif avantageux sont proposés. À mesure que la date de l’événement approche, les rapports indiquent qu’il y aura beaucoup de monde. Les loisirs au Texas sont assez limités, et la presse présente cet accident provoqué comme étant « l’événement de l’année ».

En prévision d’une affluence estimée à 20000 personnes, des puits sont creusés afin d’abreuver les spectateurs, des tentes et barnums sont montés. Une ville temporaire se construit à Crush.

Finalement, le 15 septembre 1896 au matin, les trains amenant les voyageurs se succèdent en nombre et, suivant les rapports, ce sont finalement entre 20000 et 40000 personnes qui se pressent sur le lieu de l’événement !

Bien entendu, la sécurité n’est pas à la hauteur et de nombreuses personnes s’approchent de la voie pour être aux premières loges. Elles vont être servies !

La collision

Les deux trains sont refoulés sur la ligne spéciale. Chacune des locomotives, une American destinée à être démolie, tracte quelques wagons chargés de traverses, afin d’accroître la masse du train.

Après quelques tours de roue, les équipes de conduite bloquent le régulateur et sautent en marche. Les machines prennent rapidement de la vitesse. En mois de deux minutes, les deux locomotives se rencontrent à l’endroit prévu, à la vitesse de 45 miles à l’heure (72 km/h).

Boum !

Bien entendu, rien en se passe comme prévu. Les chaudières explosent et des morceaux de ferraille sont projetés dans toutes les directions. On relèvera sur le site deux ou trois morts (suivant les sources) et de nombreux blessés.

Un des blessés est un dénommé J.C. Deane, le photographe officiel chargé d’immortaliser l’événement. Ironiquement, celui-ci reçoit un écrou dans l’œil.

Conséquences

Les nombreux blessés sont évacués du site alors que la foule, allant à l’essentiel, se glane sur le site des morceaux des locomotives comme souvenir.

Plusieurs personnes reçoivent des compensations pour leurs blessures. J.C. Deane a ainsi droit à une importante somme d’argent et un abonnement à vie pour voyager sur le Katy. Et bien entendu, William Crush est viré.

Mais une fois que tout se tasse, il faut bien constater que l’opération de promotion a parfaitement fonctionné. La compagnie a gagné des parts de marché et elle réembauche Crush dans la foulée.

Et après

L’important, c’est de montrer qu’on y était.

Malgré les conséquences dramatiques de cet accident, plusieurs autres compagnies en mal de reconnaissance organisent leurs collisions frontales. Celles-ci ne finissent pas en catastrophe et sont donc moins bien documentées.

La collision frontale volontaire de deux locomotives à vapeur date de 1952, pour le film Denver and Rio Grande (Les Rivaux du rail). Celui-ci met en scène deux locomotives du Denver and Rio Grande à voie de trois pieds.

En 1976, la Texas Historical Commission place sur le lieu un panneau commémoratif, le long d ela voie ferrée aujourd’hui exploitée par l’Union Pacific.

Et pour finir en musique, Scott Joplin composa après l’événement Great Crush Collision March !


Quelques sources

À propos de l’auteur

Modéliste ferroviaire depuis l'adolescence, je travaille aujourd'hui sur un réseau en N canadien orienté opérations ferroviaires. J'aime aussi sortir des sentiers battus (la voie étroite n'est jamais loin) et réfléchir à la pratique modéliste.

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Sauf mention contraire, le texte et les photos de cet article sont disponibles sous licence Creative Commons BY-NC-SA.

Crédits : sauf mention contraire, texte et photos par BEn ; CC-BY-NC-SA ; Trains des Amériques, Octobre 2020.

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