Bienvenue en Californie !
La Californie est l’État américain qui arrive en tête de nombreux classements au sein de ce grand pays, à commencer par sa population (39 millions d’habitants en 2018) et son PIB ($ 3137 milliards en 2019, presque le double de celui du Texas immédiatement après, pour $ 1887 milliards).
Cet État fait ainsi partie des quelques-uns qui comportent au moins deux grandes métropoles, Los Angeles et San Francisco.
Mais c’est également un État à la topographie assez accidentée. Basiquement, Los Angeles se trouve dans un bassin avec comme limite l’océan à l’ouest, et des montagnes assez escarpées dans les trois autres points cardinaux. Au nord-ouest elles s’étendent en suivant la côte jusqu’à la baie de San Francisco, et au nord sur environ 120 km jusqu’à la San Joaquin Valley dont les limites sont sensiblement Bakersfield au sud et Sacramento au nord.
Ce qui revient à dire que pour relier par voie terrestre Los Angeles à San Francisco, distantes l’une de l’autre de 600 km, il y aura obligatoirement des montagnes à gravir ou à contourner.
- Le trajet côtier, au niveau de la mer en suivant une côte très sinueuse,
- Le trajet intérieur, avec une topographie très escarpée entre Los Angeles et Bakersfield.
Sur ces chacun de ces deux itinéraires, une voie ferrée permet la liaison entre les deux métropoles et leurs abords.
- Le trajet côtier, qui paradoxalement est le moins utilisé, voit simplement un Coast Starlight (train de passagers reliant LA à Seattle via San Francisco) quotidien dans chaque sens, ainsi qu’un trafic fret relativement faible, essentiellement des trains locaux.
- Le trajet ‘‘intérieur’’, via Lancaster, Palmdale, Mojave, Bakersfield et Stockton, qui lui voit un trafic fret soutenu (et plus aucun trains de passagers depuis 1971).
La Tehachapi Pass
Nous allons aujourd’hui nous intéresser spécialement à la partie de l’itinéraire située entre Mojave et Bakersfield, appelée Tehachapi Pass. C’est une ligne très spectaculaire, qui sur seulement 68 miles (110 km), passe de 840 m d’altitude (Mojave) à 1240 m d’altitude (Tehachapi, 30 km seulement après Mojave) sur une déclivité maxi de 1.36%, pour ensuite redescendre sur les 80 km restants à 120 m d’altitude (Bakersfield) en présentant une déclivité maxi de 2.52%.
La construction de cette ligne par le Southern Pacific a commencé en 1874 et s’est terminée en 1876. Le Southern Pacific a été le propriétaire de la ligne jusqu’en 1988, année du rachat de cette compagnie par le Denver & Rio Grande Western, puis l’Union Pacific en 1996, suite à son rachat du conglomérat précédent. Dès le début de l’exploitation des droits de trafic ont été octroyés à la compagnie Atchison, Topeka & Santa Fe d’égale importance, elle-même devenue BNSF en 1995 suite à la fusion de l’AT&SF avec le Burlington Northern... Ainsi de nos jours le trafic est partagé entre l’UP toujours propriétaire de la ligne et le BNSF.
Un des hauts-lieux de cette ligne est la fameuse ‘‘Boucle de Tehachapi’’, ou ‘‘Tehachapi Loop’’, située au lieu-dit Walong. Basiquement, la ligne décrit un cercle de 180 m de rayon, pour finalement refermer la boucle en 1100 mètres, ayant gagné pour la circonstance 25 mètres d’altitude. On voit ainsi les trains littéralement ‘‘passer au dessus d’eux-mêmes’’..
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Bien que de nombreux tronçons soient à double voie, dont quelques-uns réalisés seulement ces dernières années, il y a toujours un certain nombre de goulets d’étranglement à voie unique, ce qui pose des casse-tête sans nom à la régulation du trafic. Les parties à voie unique de la ligne sont réputées comme étant la première voie unique au monde en terme de trafic. En gros 20 convois quotidiens dans chaque sens utilisent cette ligne. L’Amtrak a demandé plusieurs fois au Southern Pacific puis à son successeur l’Union Pacific d’y faire circuler de ses convois de passagers, à chaque fois la réponse a été négative, la ligne étant proche de la saturation.
Outre la jonction entre les bassins de San Francisco et de Los Angeles, cette ligne est d’importance stratégique car nombre de convois venant de Sacramento, San Francisco voire de plus loin dans le nord (Portland, Seattle, etc) et à destination du sud-est des États-Unis (Texas, Floride) empruntent cet itinéraire en contournant le bassin de LA. Ainsi le trafic est très varié. On peut dire que toutes les marchandises imaginables transitent par cet itinéraire. En terme de convois, cela veut dire que l’on voit aussi bien de l’intermodal (conteneurs en double-stack, remorques routières), des trains complets d’automobiles, des trains complets de grain, du ‘‘drag freight’’, etc. Il y eut même en un temps un ‘‘pipe-line’’ roulant de citernes de fuel, ainsi que des convois de charbon venant de la Powder River Valley qui y circulaient quand leur itinéraire préférentiel était indisponible. Les trains sont la plupart du temps très longs et très lourds (120 wagons, 15000 tonnes sont des chiffres usuels, comme partout ailleurs en Amérique du nord sur les lignes principales des compagnies Class 1, c’est à dire les plus importantes).
Compte-tenu du poids de ces convois, le matériel moteur a toujours été l’apogée de ce que proposaient les différents constructeurs de locomotives à toutes les époques.
Ainsi, à l’époque de la vapeur, cette ligne a été un des terrains de jeu des puissantes ‘‘Cab-Forward’’ du Southern Pacific. Puis sont apparues les EMD F-Units, puis les EMD SD45, les GE U-Boats, puis les EMD SD40, SD40-2, SD40-T2 ‘‘Tunnel Motors’’, puis les EMD SD70M, SD70 MAC, GE C44-9W et AC4400 CW, puis enfin les modèles les plus récents, EMD SD70Ace et GE ES44AC.
La plupart des convois nécessitent des locomotives ‘‘helper’’, situées aux 2/3 des trains afin d’optimiser leur tonnage limité par la résistance des attelages. Jusqu’en gros au milieu des années 90, les locomotives ‘‘helper’’ étaient mises en œuvre par un équipage dédié, communiquant par radio avec le mécanicien de tête. Puis les équipages de ces locomotives ont disparu, avec l’avènement de la technologie ‘‘DPU’’ (Distributed Power Units), permettant la télécommande de ces machines depuis la locomotive de tête.
J’ai eu régulièrement l’occasion d’arpenter cette ligne entre 1995 et 2005. Une époque de mon point de vue très intéressante car les compositions de matériel moteur étaient encore assez bigarrées du fait des fusions/acquisitions encore récentes. Des mélanges AT&SF, BN d’un côté et SP/UP/D&RGW de l’autre, en plus des matériels (re)peints aux couleurs des nouvelles compagnies. Avec en plus régulièrement du matériel d’autres compagnies dont certaines géographiquement lointaines (Norfolk Southern, Canadien Pacific, CSX, etc).
Le spectacle est toujours très impressionnant, les trains ne faisant que monter ou descendre (sauf sur quelques km en relatif palier à l’est de la ville de Tehachapi). En montée, ce n’est pas compliqué, c’est une lutte permanente contre la gravité, surtout sur le versant ouest. Les locomotives sont en ‘‘Run 8’’ permanent (c’est à dire à plein régime), hissant péniblement leurs convois à 30 ou 40 km/h maxi. L’effet sonore est saisissant, que ce soit le hurlement rageur des moteurs 2-temps des locomotives EMD, ou le lourd martèlement des moteurs 4-temps des locomotives GE, ajouté au grincement des essieux des wagons sur les courbes serrées. En descente, c’est l’inverse, les mécaniciens jouent sur les freins et notamment le freinage rhéostatique des locomotives, dont la très forte température générée est évacuée par de puissants ventilateurs sur le toit des locos..
Pour rejoindre ce haut-lieu de l’exploitation ferroviaire, il faut compter trois heures de route depuis l’aéroport international de Los Angeles jusqu’à Mojave. Ensuite, sur place, compter une à deux journées complètes pour explorer tous les recoins de cette ligne passionnante. Et multiplier les possibilités de photos. Attention, comme partout aux États-Unis, les ‘‘no trespassing areas’’ (propriétés privées) sont sacrées et le shérif du coin n’hésitera pas à vous délester de vos précieux dollars si vous ne respectez pas cette règle intangible. Mais néanmoins la visite de cette ligne vaut largement le déplacement, je vous le recommande vivement si lors de vos vacances en Californie vous avez deux ou trois jours disponibles (prévoir un échappatoire pour Madame afin qu’elle vous laisse les coudées franches !).